La crise sanitaire que nous traversons concerne aussi presque 8 millions de chiens qui vivent confinés avec leur famille dans des maisons ou appartements. Ceux-ci voient leur quotidien modifié, en mieux ou en moins bien, sans comprendre pourquoi. Il en résulte des bouleversements dans leurs habitudes et des dérèglements importants dans leur équilibre émotionnel. C’est le moment de proposer aux chiens des activités variées tout en respectant les principes de précaution.
Les récents évènements, à Toulouse, où un maître confiné a tué ses deux chiens qui se battaient sur le balcon, réveillent nos appréhensions légitimes de maltraitance que peuvent subir les chiens pendant cette période à haut risque.
Les propriétaires de chiens se retrouvent, soit en situation de confinement, assignés à résidence en permanence, soit en situation de travail à l’extérieur avec des changements d’horaires extensibles (personnel médical) et difficilement compatibles avec une vie normale du chien. Certains font aussi faire partie des personnes à risque, par leur âge ou du fait d’une pathologie chronique, et ne peuvent plus sortir leur chien sans s’exposer exagérément au virus. Enfin les personnes malades ou hospitalisées se retrouvent en situation d’angoisse pour le devenir de leur chien, en plus d’être angoissés pour eux-mêmes.
Quelles conséquences sur la vie des chiens ?
Essayons d’envisager chaque situation, sachant que tout changement dans le budget-temps du chien a des répercussions sur son mental et ses relations.
=> Les excès de sortie :
Lorsque les maîtres sont en confinement chez eux, avec ou sans télétravail, et disposent de plus de temps libre, la tentation est forte de s’extraire du confinement forcé par une augmentation dans la fréquence des balades avec le chien. Si cela peut paraître spontanément bénéfique au chien, certains animaux peureux des bruits urbains, se retrouvent promenés davantage en milieu de journée avec un risque accru d’exposition à des sirènes de pompiers ou d’ambulances. A l’inverse, le vide des rues actuelles expose de nombreux chiens mal socialisés à des promenades certes plus au calme, mais avec plus de probabilité de croiser des congénères, les seules promenades se faisant entre propriétaires avec leurs chiens. Par ailleurs certaines pathologies chroniques (arthrose, cardiopathie) peuvent s’aggraver chez des chiens promenés excessivement par rapport aux habitudes et aux recommandations de santé prescrites. Enfin ce calme urbain ne permet pas d’habituer un jeune chiot à la ville trépidante d’activité, s’il est amené à y vivre dans sa vie future.
=> L’impossible isolement au calme :
L’excès de sortie a aussi des conséquences à l’intérieur du domicile. Le chien bien fatigué a davantage besoin de s’isoler et se reposer dans un endroit au calme. Si d’ordinaire il pouvait le faire en l’absence des enfants alors que ceux-ci étaient à l’école, il est susceptible d’être dérangé en permanence dans les familles nombreuses. L’impossible tranquillité peut générer de l’agacement et potentiellement de la réactivité dangereuse. Le chien sans cesse réveillé, caressé, pris dans les bras, dérangé et secoué, peut finir par manifester son agacement par des grognements ou tentative de morsure. Le réflexe de sanction est alors la meilleure façon de déclencher une vraie morsure par la suite. Des enfants mal surveillés et excités eux-mêmes par le confinement risquent d’être victimes de ces situations. Des enfants mordus, ce sont potentiellement des chiens euthanasiés injustement. Les drames humains engendrent des drames irréversibles pour nos animaux, avec des familles totalement désemparées.
=> Les excitations sans fin :
Si le chien est de nature active et bondit de joie devant toute sa famille, des morsures sont aussi possibles, non pas dans un contexte de refus de contact, mais en situation de surexcitation et de mauvais contrôle émotionnel et moteur. Si deux chiens excités peuvent jouer brutalement longtemps en s’attrapant la peau, parfois en couinant mais sans se faire vraiment mal, il n’en est pas de même entre un chien et un humain, de surcroit un enfant. La brutalité parfois entretenue ou renforcée involontairement par l’enfant finit en blessure avec une effraction cutanée ou un bleu. Le chien monte en pression et ne s’arrête plus, il peut ainsi mordre sans conflit initial mais pas sans dégâts.
=> Le chien sentinelle des violences humaines :
La relation entre l’homme et le chien se nourrit de ressentis réciproques, le stress des humains est perçu par les chiens qui peuvent développer des réponses anxieuses. Si la famille est sous pression, soit parce qu’un membre est malade, soit parce qu’un autre est un soignant qui risque de contaminer ses proches, soit parce qu’il y a un risque économique de perte d’emploi, soit parce que rester chez soi sans rien faire finit par énerver des personnes qui tournent en rond, le stress des humains devient palpable et le risque de violence explose alors. Les chiens n’échappent pas aux ressorts de la violence générale. Si les féminicides et infanticides ont augmenté en Chine récemment, de nombreux chiens ont été tués volontairement ou dans des actes de violences incontrôlés. Dans la nature, la distanciation sociale est le premier réflexe adaptatif de survie en situation de conflit. Les comportements agonistiques incluent l’agression, l’immobilisation, mais aussi la fuite et la dispersion, impossibles à adopter en confinement, qui plus est dans une famille nombreuse en appartement.
Par ailleurs, la captivité des animaux et le confinement des humains mobilisent les mêmes structures mentales de gestion de l’espace et du temps et les mêmes zones cérébrales en charge des émotions. Le déficit d’échanges et de rencontres amicales, qui jalonnent habituellement la vie normale d’une espèce sociale, génère d’importantes frustrations qui doivent nous rappeler ce que ressentent les chiens, habituellement seuls dans un appartement pendant douze à treize heures par jour, et dont les sorties d’un quart d’heure matin et soir, se font exclusivement en laisse et sans interactions.
Quelles activités proposer aux chiens ?
=> Faire des exercices de stimulation mentale :
Si les propriétaires disposent de plus de temps, l’idéal est de commencer des exercices intelligents de stimulation mentale avec leur chien. Cela permet d’inventer de nouvelles interactions avec son chien, du même type que celles d’un enfant avec son professeur d’école, en lui apprenant de nombreux tours. Pédagogie et patience sont de mise, la bienveillance permet d’arriver facilement à de bons résultats. Ainsi les chiens apprennent à s’asseoir, se coucher, donner une patte puis une autre, rouler au sol, faire le mort, rester sans bouger quelques secondes puis plus longtemps, venir au rappel, rapporter un jouet, sauter sur un banc, tout cela avec félicitations, friandises et caresses. Le renforcement positif systématique est indispensable pour encourager le chien à progresser. Il est essentiel de choisir une activité qui intéresse le chien. Certains chiens apprécient les jeux de recherche (nourriture cachée dans un tapis, dans des balles distributrices de croquettes, dans des tiroirs ou boîtes à ouvrir, …) ou de pistage. D’autres préfèrent les courses ou les acrobaties sur des bancs, des tables, ou dans des tunnels. D’autres encore se plaisent dans le rapport d’objet. L’entraînement à ces activités ludiques éducatives renforce quantitativement et qualitativement le lien entre le propriétaire et son chien. Cela tend à instaurer une attention accrue du chien envers son maître.
=> Optimiser les promenades :
Les promenades peuvent être l’occasion de travailler des exercices plus contraignants comme la marche en laisse, surtout en cette période où les lâchers en forêts sont interdits. Le mieux est de multiplier les sorties courtes. Les bons outils sont le harnais et la longe afin de laisser plus de confort et de marge de manœuvre au chien, pour qu’il puisse flairer et explorer l’environnement proche avec une souplesse de mouvement. Une fois que le chien a fait ses besoins et bien flairé partout autour de lui, on peut recapter son attention avec la main, le regard et des paroles douces, lui donner une friandise à chaque fois qu’il ralentit, ou se rapproche de son maître qui le félicite. Lui parler, le motiver à marcher calmement, l’encourager par des caresses et des récompenses transforme l’exercice un moment productif de bien-être pour le duo propriétaire/chien.
Les sorties dans les villes actuellement calmes et désertiques sont une excellente occasion de commencer une habituation sereine à la vie urbaine pour des jeunes chiots un peu timides, et de démarrer une vraie thérapie de désensibilisation aux bruits et stimuli urbains pour les chiens peureux de la ville. Il faut faire des sorties fréquentes mais courtes en variant les trajets dans le quartier sans s’éloigner de l’habitation. On peut s’arrêter, ralentir, repartir à sa guise sans croiser trop de passants, et le chien se familiarise plus aisément avec la rue qu’en temps normal. Attention aux sirènes de pompiers, d’ambulances ou se SAMU qui peuvent surprendre.
Quels principes de précautions respecter ?
Il ne faut pas trop en faire ! N’oublions pas que si les humains ont compris la situation, les chiens ne font que subir nos changements de rythme. Les promenades s’accélèrent et se multiplient puis les chiens vont devoir rester à nouveau seuls de longues heures après la levée du confinement. Le mieux est de ne pas trop changer le temps dédié au chien, même s’il est de toute façon plus heureux de rester avec ses humains de compagnie présents, afin de préserver son capital autonomie
Pour ne pas rompre des habitudes de rencontres
sociales entre chiens, il peut être possible de promener deux chiens en même temps s’ils se connaissent, mais avec un seul humain.
Les chiens ne doivent sous aucun prétexte être relégués dans une cage ou confinés totalement sans aucune sortie, ou pire être abandonnés. C’est donc le moment aussi de se préoccuper des chiens des personnes se trouvant dans l’incapacité de les sortir. Il faut absolument proposer à des personnes âgées ou fragiles de promener leur chien. Il suffit que le promeneur accroche lui-même une laisse lui appartenant ou neuve au collier ou harnais du chien sans toucher à la laisse habituelle appartenant au propriétaire. Le promeneur ne caresse pas le chien mais lui parle et peut jouer avec lui en prenant toutes les précautions utiles. Si nous disposons d’un jardin, nous pouvons aussi aller chercher le chien d’une personne ne pouvant sortir et lui offrir un espace d’exploration et de jeu pour qu’il se dégourdisse les pattes, toujours en prenant soin de ne pas le toucher.
La solidarité s’exerce aussi bien pour le bien-être des chiens ne pouvant être promenés par leur propriétaire, que pour ces mêmes propriétaires chez lesquels il faut diminuer l’angoisse liée à leur incapacité à sortir.
UNE CHAÎNE DE SOLIDARITÉ POUR LES PROPRIÉTAIRES EN DIFFICULTÉ
Se préoccuper, des chiens des personnes malades ou hospitalisées est essentiel. Il existe des initiatives dans ce sens afin de pourvoir aux situations alarmantes. Le mouvement blanc « Soscovid19chien » est une page Facebook spécialement dédiée aux personnes se trouvant en difficulté avec leur chien, ce durant toute la période de confinement (https://www.facebook.com/Soscovid19chien/posts/114115910225047?__tn__=K-R)
Dr Isabelle VIEIRA, DVM
Vétérinaire Comportementaliste DENVF
Chargée d’enseignement en éthologie clinique dans les ENV
Présidente Fondatrice de la SEEVAD
Co-fondatrice du mouvement « Le chien mon ami »
Vice-Présidente de l’APV