Qu’entend-t-on par destructions ? Pourquoi le chien se met à détériorer notre intérieur ou nos affaires ? Est-il anxieux, jaloux, hyperactif ? Se venge-t-il ? Autant de termes inexacts et d’idées reçues. Alors que se passe-t-il ?
La naissance de l’exploration orale :
A la naissance, la première interaction du chiot est avec la mamelle de sa mère. Le chiot pétrit avec ses pattes, il en sort du lait que le chiot tête : c’est un comportement réflexe. Le premier contact du nouveau-né sourd et aveugle est donc oral. Par la suite, vers l’âge de trois semaines, le chiot prend en gueule tout ce qui se trouve à sa portée. Il a besoin de s’informer sur la nature des substrats qu’il rencontre. Comme le bébé humain qui porte spontanément les objets à sa bouche, le chiot mordille, déchiquète, transporte et détruit notre intérieur sans savoir qu’il fait mal. Il n’a aucune notion de ce qu’est une bêtise. Ce comportement est obligatoire. Rien ne sert de le réprimer. Il suffit de l’orienter vers des jouets autorisés. C’est un comportement qui s’inscrit dans l’ensemble des comportements de jeu. Or le chien domestique, de part son caractère néoténique, conserve une motivation au jeu toute sa vie. Par conséquent ces destructions peuvent perdurer au delà de l’âge adulte de façon normale, en fonction du tempérament de chaque individu.
Les destructions sont un comportement gênant mais non pathologique
Les destructions à l’âge adulte peuvent être très importantes et particulièrement gênantes. Elles présentent des caractéristiques différentes en fonction du contexte et de l’état émotionnel du chien.
On distingue les destructions observées dans un contexte de jeu, sans aucune expression d’angoisse ni émotion négative, et les destructions dans un contexte de frustration et de stress, essentiellement reliées à l’absence humaine et à l’isolement.
- Le contexte du jeu est fortement stimulant pour les destructions
Cette prise en gueule avec destruction des objets de l’humain par le jeune chien peut être très importante si le chiot présente un caractère fougueux et actif. Il ne s’agit pas, pour autant d’une pathologie, mais d’un tempérament propre à l’individu. Il est essentiel de le repérer très tôt dès l’adoption afin de l’orienter et de canaliser ce comportement. Il a lieu à la fois en présence et en absence des maîtres. Il n’est pas dépendant d’un état émotionnel particulier et ne correspond pas à un stress, ou une frustration. On l’observe en tout lieu, y compris chez le vétérinaire où le chiot se montre souvent explorateur et exempt de toute inquiétude. Il est le fait de sujets particulièrement joueurs, souvent taxés de « têtus » ou de « désobéissants ». Pourtant leur caractère joueur et toujours motivé à découvrir du nouveau, en fait les meilleurs chiens de travail pour la recherche de drogues ou de décombres. Leur prise en charge ne doit donc pas passer par un bridage de ce caractère mais par son exploitation raisonnée et correctement orientée positivement vers des activités gratifiantes. En effet, les punitions des maîtres ont souvent pour simple effet d’inhiber le chien en leur présence, si bien que les destructions deviennent explosives en leur absence. La punition au retour étant inefficace, le problème perdure.
- Le contexte de la frustration est un facteur de stress générateur de destructions
Le chien est un animal social. Il a besoin d’interagir avec des congénères ou avec un humain. La solitude à la maison est mal vécue. Le stress lié à l’isolement relationnel s’avère bien réel. Cette frustration d’interactions engendre systématiquement des comportements de recherche et de stimulation du milieu environnant chez les sujets au tempérament très social et très familier de l’humain. Les destructions s’accompagnent parfois de déjections et de vocalisations (aboiements, hurlements, gémissements).
Par ailleurs, l’inactivité chronique de nos chiens génère aussi une frustration et un comportement exploratoire pour découvrir une nouveauté. Indépendamment d’un horizon relationnel souvent pauvre, si le chien manque de stimulations physiques et mentales, d’activités variées et riches en recherches et en découvertes, il est amené à fouiller son environnement par lui-même. C’est le cas des chiens que l’on promène sans trop leur parler ni varier les trajets, qui tirent sur leur laisse, qui sont empêchés dans leurs interactions, qu’on sort simplement pour une mission sanitaire, ou que l’on ne promène pas tous les jours. On ne laisse à ces chiens aucune initiative d’investigation. Ils sont bridés en permanence, par une laisse ou par la sanction, ce qui excite leur motivation à prendre des initiatives en l’absence des maîtres.
Comment remédier à ces comportements destructeurs ?
En fonction du contexte et de l’émotion du chien, les solutions sont différentes.
- Les chiens dont le niveau d’activité est « extrême » et qui détruisent dans un contexte d’excitation et de jeu, doivent être orientés vers des activités permettant de les réguler positivement. On peut leur proposer de rapporter des objets lancés ou cachés, de trouver des stratégies de franchissement ou de contournement pour aller chercher un objet ou une friandise, de parcourir de grandes distances et d’explorer des lieux variés, de s’occuper à prendre de la nourriture dans une balle à trous ou de tirer sur des cordes à nœuds. De nombreux jouets très solides et autorisés doivent être mis à leur disposition en les changeant régulièrement.
- Les chiens en état de stress et de frustration relationnelle, trop dépendants de leur maître, doivent être sortis par diverses personnes, éduqués en séance collective en les confiant à des conducteurs différents, participer à des séances d’agility, amenés à davantage d’immersion sociale avec des congénères, et moins renforcés dans leurs sollicitations permanentes envers leur maître. Il peut être intéressant d’avoir recours à un « dogsitter » ou un « promeneur de chien » pour satisfaire un besoin d’activité et permettre au chien de nouer d’autres horizons relationnels que ses maîtres. Plutôt que de refouler au panier sans cesse un chien qui suit son maitre dans l’appartement, il est préférable de le placer dans une cage de transport d’où il voit ses maîtres sans pouvoir les rejoindre, ce qui permet d’ignorer ses sollicitations et lui apprend ainsi la tolérance à la frustration.
Conclusion
Pour limiter les comportements de destruction, le mode de vie de nos chiens urbains devrait générer plus d’activités sociales et ludiques, plus d’éducation à l’autonomie, moins d’ennui et de solitude.
Dr Isabelle VIEIRA, DVM
Vétérinaire Comportementaliste DENVF
Chargée d’enseignement en éthologie clinique dans les ENV